II. L’entretien
A - Modalités
Après l’exposé, le candidat est prié de se retirer quelques instants ; le jury fixe en son
absence une note correspondant à l’étude de texte qu’il vient d’entendre, ainsi que les points qui
seront abordés après la question de grammaire (voir rapport spécifique) lors de l’entretien auquel
seront consacrées les vingt à vingt cinq dernières minutes de l’épreuve. Chaque année, des
candidats, convaincus que seul l’exposé sera pris en compte, laissent passer leur chance d’exploiter
pleinement leurs acquis et de montrer leurs aptitudes à devenir enseignant. Au cours de la session
2005, deux candidats sur trois ont amené les examinateurs à majorer leur note de 1 à 8 points à
l’issue de l’entretien, qui doit donc être considéré comme partie intégrante (et souvent déterminante)
de l’étude de texte.
Cela s’applique à toutes les épreuves, mais – compte tenu de l’absence de préparation
spécifique – plus encore à l’entretien : la pharmacopée n’est d’aucun secours contre la tension, la
nervosité bien compréhensibles en la circonstance. Le jury s’efforce de vous mettre à l’aise, mais ne
peut rien pour ceux qui se présentent dans un état second et passent des larmes au rire ou restent
sans réaction. Il s’agit ici de choisir des enseignants : comment ne pas hésiter à mettre en face d’une
classe un tel candidat?
Alors que vous devez gérer au mieux le temps imparti à l’exposé, vous ne disposez pas de
l’entretien ; le déroulement de l’entretien incombe à vos examinateurs. Vous ne pouvez utiliser ce
temps pour achever votre exposé ou traiter un point que vous auriez oublié. Presque toujours, les trois
examinateurs, l’un après l’autre, vous posent quelques questions, vous demandent des précisions sur
vos analyses, vous appellent à réfléchir sur un élément du texte. Durant chacun de ces échanges, il
peut arriver exceptionnellement qu’un autre membre du jury soulève un point proche de celui abordé
afin de ne pas avoir à y revenir par la suite, mais l’entretien consiste pour l’essentiel en trois dialogues
successifs. Chaque examinateur proposera par la suite une note définitive, tenant compte des
éléments venus compléter ou corriger l’exposé. Vous n’avez pas fac e à vous un tribunal cherchant à
vous condamner, mais un jury qui espère trouver en vous les qualités souhaitées chez des collègues,
des successeurs, des enseignants en début de carrière. Aussi le désir exprimé par une candidate de
garder le silence n’a-t-il pas plus sa place ici que dans une classe.
Le concours évalue vos connaissances et votre savoir-faire, mais n’a pas pour objet de les
développer : n’attendez donc pas du jury d’explications ou de réponses à vos questions. Seuls les
éléments indispensables pour sortir d’une impasse vous seront fournis: contresens sur un mot, erreur
sur le contexte interdisant une approche exacte du texte.
B - Aptitudes recherchées
Beaucoup de candidats s’étonnent qu’aucune question ne porte à l’oral sur leurs motivations ;
il serait plus exact de dire qu’aucune question ne porte directement sur les motivations, car elles
transparaissent dans le désir de communiquer, la capacité d’écouter, d’exploiter une suggestion,
d’approfondir une observation, de préciser un jugement, voire de revenir sur une erreur qui sont
indissociables du projet d’enseigner. Bien que les attitudes déplacées soient rares, rappelons que les
examinateurs attendent des candidats une courtoisie égale à la leur. Se renfrogner, pousser des
soupirs exaspérés, douter de la pertinence des questions plutôt que de chercher à y répondre, sont
autant de comportements que le jury ne peut encourager.
Futur professeur de français, vous devez également maîtriser la langue que vous aspirez à
enseigner. Sans aller jusqu’à l’imparfait du subjonctif, évitez les « ouais », « OK », « zut », et autres
« punaise » qui sortent du registre attendu, comme les didascalies du style « c’est pas ma tasse de
thé », « Hop hop hop là je m’emmêle les pinceaux ». ou « Bonne question » qui vous sembleraient
également inacceptables de la part des examinateurs Essayez de vous exprimer de façon précise, en
terminant vos phrases. Tenez compte de votre auditoire, ne l’obligez pas à tendre l’oreille pour
percevoir un vague murmure ; regardez les personnes à qui vous vous adressez ; entrez dans le rôle
d’enseignant que vous aurez à jouer dans peu de temps ; communiquez votre intérêt pour la
littérature.
Vos notes ont été utiles pour l’exposé, mais par définition elles ne contiennent pas les
éléments de réponse aux points soulevés lors de cette dernière partie. Ne vous servez plus de vos
papiers. L’aisance, la rapidité avec laquelle vous retrouvez parmi vos connaissances les références
ou des instruments d’analyse propres à éclairer le texte, sont des atouts précieux ; mieux vaut ne pas
avoir besoin d’une longue réflexion pour identifier une métaphore par exemple !
Même si vous avez mentionné un point lors de l’exposé. Il se peut que vous ayez été trop
allusif, que l’on vous ait mal entendu. ou que vous ayez purement et simplement omis une partie de
votre analyse Dans tous les cas, « je l’ai déjà dit » est insuffisant. Acceptez de bonne grâce de
reprendre vos observations, de les expliciter au besoin. Enfin, tenez compte des points de vue qui
vous sont proposés ; lorsque vous avez conscience d’avoir commis une erreur, ce n’est pas faire
preuve de caractère que de persister obstinément ; vous pouvez indiquer l’origine de votre erreur, et
montrer que la perspective ouverte vous permet une interprétation plus exacte. Le concours ne
marque pas la fin de vos études, mais le début d’une activité professionnelle dans laquelle vous
progresserez en vous remettant en question sans complaisance.
C - Démarches les plus fréquentes
(NP/NF= Note provisoire après l’exposé/Note finale)
Le déroulement de l’entretien dépend bien évidemment de l’exposé, cependant, on peut y retrouver des types d’approches. Chaque examinateur vous indiquera d’ailleurs comment il a l’intention de procéder : plusieurs questions indépendantes les unes des autres, un point précis puis une question générale, une interrogation sur le contexte, par exemple.
Le plus souvent, quelques questions seront posées pour éclaircir des points de votre présentation : le jury voudra savoir si: des rimes croisées ont été désignées comme embrassées à la suite d’un lapsus, ou par ignorance, si vous rendrez à la relecture leurs douze syllabes à quelques alexandrins. Que signifie tel mot ? Avez-vous cherché un nom dans le dictionnaire ? Qui sont, par exemple, Les Assis du poème de Rimbaud ? Dans « L’Expiation » qui est cet aigle ? Ce sont autant d’occasions de corriger des étourderies, des erreurs ou des omissions de détail, qui méritent votre attention : l’à-peu-près n’est pas plus satisfaisant que les réponses irréfléchies, « à choix multiple » laissé au jury ! La demande réitérée de relire un vers ou une phrase vous invite à plus de précision , et répéter des erreurs ne les rend pas plus acceptables, bien au contraire ; le e caduc, les diérèses, certaines liaisons, obéissent à des règles ; les négliger, c’est mutiler le texte. Un peu d’attention suffit à lire correctement dès la première fois les vers qui suivent,
Grâces aux dieux, seigneur, Junie entre vos mains
Vous assure aujourd’hui du reste des Romains.
Vos ennemis, déchus de leur vaine espérance,
Sont allés chez Pallas pleurer leur impuissance.
Mais que vois-je ? Vous-même, inquiet, étonné
Plus que Britannicus paraissez consterné.
Britannicus, II, 2
Seule une lecture fidèle de la prose, de vers, de versets, peut servir de base à une étude rigoureuse. Dans A New York , la juxtaposition de l’Afrique et de l’Amérique, du naturel et de l’artificiel, se fait sentir par le rythme classique de l’alexandrin, mêlé au verset de la tradition orale, aussi la demande de lecture à haute voix est-elle une manière d’orienter l’étude :
Pas un sein maternel, des jambes de nylon(…)
tandis que les klaxons hurlent des heures vides(…)
tels des fleuves en crue des cadavres d’enfants(…)
rythme et sang du tam-tam, tam-tam sang et tam-tam.
Senghor, Ethiopiques.
Quand un point a été corrigé, ne commettez plus la même erreur par la suite ; comment un candidat qui, par dix-sept fois, après comme avant d’avoir été repris, attribue Madame Bovary à Zola, pourra-t-il demander un effort d’attention à ses élèves ? De même, les informations trouvées dans le dictionnaire doivent être présentes à votre esprit et pas seulement « par là, quelque part dans les notes » mais inaccessibles au moment où vous en auriez besoin.
Parmi les questions le plus souvent posées figurent celles concernant les registres et tonalités ; cette année, du pathétique et de l’ironie étaient perçus un peu partout par des candidats qui ne savaient les définir ; l’hypotypose a été abusivement confondue avec toute description, et la précision de détail, dès le XVIe, serait un zoom. Comme cela a déjà été indiqué dans les rapports précédents, un relevé de figures de style ne constitue pas une étude de texte. Utilisez donc une terminologie que vous maîtrisez, car les inexactitudes seront relevées ; il vous sera plus rarement reproché de ne pas connaître le nom de figures de style que vous aurez observées et surtout interprétées de manière pertinente.
Une fois ces mises au point effectuées, les examinateurs peuvent aller du détail à l’ensemble, ou inversement. C’est la première démarche qui a été adoptée après une étude de l’article «Abbé » du Dictionnaire philosophique, le sens du seul mot père conduisant à une analyse de l’ironie de Voltaire dans tout le texte (NP :3/NF : 10).
De même, la «Complainte de Vincent », de Prévert (Paroles) par erreur de contextualisation, avait été interprétée comme un pamphlet contre la guerre. Après des questions sur le réseau lexical de la peinture, puis un retour au titre, Van Gogh a été identifié, et le caractère d’éloge du poème a pu être dégagé (NP :2/NF :10). Pour tirer parti des questions, la candidate a dû renoncer à une interprétation liée à la date de composition du poème (1946).
Au contraire, une candidate qui avait expliqué de façon pertinente le passage où Julien Sorel prend la main de Madame de Rénal (Le Rouge et le noir, I,9), comme une épreuve initiatique, a pu préciser et compléter son analyse à partir d’une question générale sur ce qui se passe pendant toute la première partie de la scène, et où cela se passe ; aucune action ne se déroulant dans ce jardin, elle a pu justifier le vocabulaire guerrier par une focalisation interne (alors qu’elle y avait vu une hyperbole de Stendhal), et à partir de là affiner son étude de la temporalité dans la dernière partie du texte proposé, où imparfait et passé simple sont utilisés concuremment (NP :12/NF :18)
. A partir d’une observation sur l’emploi de la comparaison et de la métaphore, le sonnet de Ronsard « Comme on voit sur la branche… » a pu être réinterprété (NP :3/NF :10).
Le théâtre, trop souvent traité comme un récit ou un poème, a donné lieu à des entretiens fructueux, par le seul rappel d’éléments scéniques : la prise en compte de didascalies, ou de la situation d’énonciation, a ainsi permis à une candidate de mener à terme son analyse de la dernière scène des Caprices de Marianne (NP 12/NF:18).
Citons encore le cas d’une présentation de La Belle Dorothée, de Baudelaire, à la fois paraphrastique et erronée, où le personnage était vu comme une femme sensuelle se promenant dans une ville balnéaire. Quelques éléments comme la référence à l’Europe, ont conduit le candidat à envisager un cadre exotique, puis la beauté d’une esclave affranchie qui marche pieds nus, comparée aux statues des musées, lui a fait entrevoir un idéal artistique exprimé dans la forme libérée du poème en prose
(NP :4/NF :
.
D – Ouvertures
La plus grande partie de l’entretien est dans le prolongement direct de l’exposé, cependant l’œuvre de l’auteur, la littérature, ne se limitent pas aux quelques lignes proposées. Les candidats ne sont pas censés avoir tout lu, mais le texte peut donner lieu à un élargissement du questionnement.
Ainsi quelques vers de La Légende des siècles ont-ils été éclairés par des questions sur la thématique et l’esthétique hugoliennes ; le même type de questions a été posé au sujet de la description de l’alambic dans L’Assommoir.
Un extrait d’En attendant Godot ayant été étudié sans aucune référence à la tradition théâtrale ou religieuse, une candidate a pu montrer qu’elle disposait des connaissances nécessaires, mais avait cru devoir en rester à une lecture littérale (NP :7/NF :14).
Lorsqu’il s’agit d’une page de roman, sa place dans l’œuvre peut être examinée plus en profondeur.
Dans tous les cas, le texte que vous avez présenté doit s’inscrire dans votre expérience de lecteur. Les candidats ont parfois semblé surpris par une question aussi simple qu’essentielle : «Comme lecteur, que pensez-vous de ce texte ? Que ressentez-vous en le lisant ? », « Comment percevez -vous ce personnage ? » Rares sont, heureusement, ceux qui ont considéré le texte comme « écrit pour servir d’épreuve », ou limité leur appréciation à « C’est beau quand même », ou « Dans ces 24 vers, tout est plutôt banal ».
.A ce point de l’entretien, une candidate travaillant sur la scène finale des Mains sales, a parfaitement expliqué comment le dialogue fait naître un mélange de sympathie et de répugnance devant le personnage du terroriste, tout en convoquant ses lectures sur le libre-arbitre, et sur la fonction même de l’acteur manipulé par des forces qui le dépassent. Les examinateurs sont alors assurés d’avoir devant eux un futur professeur qui saura communiquer son intérêt pour la littérature et le nourrir de lectures et d’expérience.
Quelques conseils
Afin de retirer le plus grand bénéfice des préparations au concours proposées, les examinateurs vous conseillent de vous préparer par vous - mêmes de façon régulière :
- familiarisez-vous avec l’emploi de dictionnaires : trop de candidats disent « ne pas y avoir trouvé… » le précieux renseignement dont ils auraient eu besoin;
- pratiquez la lecture à haute voix, de prose, et de vers jusqu’à ce que vous possédiez bien les principaux mètres et rythmes français ;
- lisez, lisez, lisez ! Appropriez-vous des œuvres majeures. Les candidats ne peuvent avoir tout lu, mais doivent avoir lu, et continuer à lire par la suite. Sans cette expérience, les préparateurs au concours ne peuvent rien pour vous ;
- compte tenu de la difficulté des préparateurs à vous entraîner individuellement plusieurs fois à l’épreuve orale, organisez -vous en groupes de 3, 4, ou 5 pour travailler dans les conditions du concours : préparation sur un texte que l’on « découvre », présentation devant plusieurs personnes bienveillantes mais sans complaisance ; puis questions.
- enfin, consolidez vos connaissances de base dans quatre domaines où les lacunes constatées ont parfois un impact désastreux sur l’épreuve :
- repères historiques (XIXe en particulier)
- principaux mouvements artistiques
- références mythologiques
- références bibliques
Reprenez donc vos manuels d’histoire du secondaire ; de nombreux ouvrages sont accessibles en ce qui concerne l’art, la mythologie et la religion, on peut conseiller par exemple ceux de la collection L’ABCdaire, aux éditions Flammarion, notamment Mythologie, ou celle du Guide des arts aux éditions Hazan (Dieux et héros de l’Antiquité, Le Nouveau Testament) ; la clarté de leur présentation et la qualité de leur iconographie vous seront utiles bien au-delà du concours.
Nous remercions vivement tous les membres du jury, qui ont contribué à la documentation de ce rapport.