1994
Sujet de Michel Collot (L'Horizon fabuleux) Texte et contexte : Texte:- "Concept d'horizon" : emprunté à la phénoménologie et Husserl.
- Collot, La Poésie moderne et la structure d'horizon : expérience poétique = "aventure d'un sujet engagé tout entier dans une traversée du monde et du langage".
Contexte:- Breton, Le Point du jour : "Je tiens les associations verbales pour infiniment plus riches que le sens visuel (...)".
- Riffaterre, "La métaphore filée dans la poésie surréaliste", La Production du texte
- Mallarmé, Crise de vers : "Narrer, enseigner, même décrire, cela va et encore qu'à chacun suffirait peut-être pour échanger la pensée humaine de prendre ou de mettre dans la main d'autrui en silence une pièce de monnaie (...)"
- D. Combe, Poésie et récit, une rhétorique des genres : "En récusant le récit et en revendiquant la liberté d'un langage affranchi de la représentation et rendu à son immédiateté, les poètes s'enferment dans une langue close."
- Valéry, Variété : langage aspirant à être Parole qui "ne démontre ni ne décrit, ni ne représente quoi que ce soit : qui donc n'exige, ni même ne supporte aucune confusion entre le réel et le pouvoir verbal de combiner, pour quelque fin suprême, les idées qui naissent des mots".
- Collot, L'Horizon fabuleux : La situation contemporaine est celle d'une "relation déchirée entre la tentation du langage et la tentation du réel" et les oeuvres poétiques s'inscrivent entre deux tendances : l'une, hermétique, "qui privilégie la "clôture du texte" et met entre parenthèses le sujet et l'objet de l'écriture" ; l'autre, herméneutique, "qui fait du langage le moyen d'une interprétation de soi et du monde."
- Bonnefoy, "La Présence et l'image", leçon inaugurale au Collège de France, Entretiens sur la poésie (1972-1990) : "Et ces excès des mots sur le sens, ce fut bien ce qui m'attira pour ma part, quand je vins à la poésie, dans les rets de l'écriture surréaliste. (...) Mais, passée la première fascination, je n'eus pas joie à ces mots qu'on me disait libres. J'avais dans mon regard une autre évidence, nourrie par d'autres poètes, celle de l'eau qui coule, du feu qui brûle sans hâte, de l'exister quotidien, du temps et du hasard qui sont sa seule substance ; et il me sembla assez vite que les transgressions de l'automatisme étaient moins la surréalité souhaitable, au-delà des réalismes trop en surface de la pensée contrôlée, aux signifiés gardés fixes, qu'un paresse à poser la question pour moi, dont la virtualité la plus riche est peut-être la vie comme on l'assume jour après jour, sans chimères, parmi les choses du simple."
Mode de fonctionnement de la citation : - Bonnefoy n'aimait pas l'illisibilité des poèmes écrits par les "remueurs de vocables".
Remarques sur les langages de la citation :- Jakobson, Essais de linguistique générale : le "principe de similarité gouverne la poésie".
- Valéry, Variété : la poésie s'oppose à "la narration d'événements qui tendent à donner l'illusion de la réalité".
Enjeux et problématique du sujet :- Ricœur, La Métaphore vive : "la stratégie de langage propre à la poésie, c'est-à-dire à la production du poème, paraît bien consister dans la constitution d'un sens qui intercepte la référence, et, à la limite, abolit la réalité.''
La mise en perspective du sujet:- Valéry, Variété : la poésie est "un langage dans le langage".
- Jakobson, Essais de linguistique générale : la poésie a une ambiguïté et une essence "de part en part symbolique, complexe, polysémique".
Propositions pour une argumentation : I. L'utilisation du matériau verbal en cause : => risques d'illisibilité et singularité du langage poétique.
Enjeu: en quoi l'utilisation du matériau verbal peut-elle conduire à l'illisibilité ?
A. Présupposé d'une certaine conception du langage poétique.
1) Son principe est "un matérialisme de la lettre".
- Ponge : "L'atelier contemporain" du poète ressemble à celui de Fautrier dont les productions s'éloignent de plus en plus du tableau pour n'être que travail sur "une épaisseur de blanc".
- Genette, Mimologiques : le poète est tenté par une imagination du langage, un "cratylisme secondaire" (= mimologisme) et qui a pour dessein "d'établir ou de rétablir dans le langage, par quelque artifice l'état de nature que le cratylisme "primaire", celui de Cratyle, croit naïvement y voir encore ou déjà établi".
- Claudel, OEuvres en prose : "(...) nulle démonstration ne convaincra un poète qu'il n'y a pas de rapport entre le son et le sens d'un mot, sinon il n'y aurait qu'à renoncer à son métier".
- Claudel, OEuvres en prose : la lettre M "qui se dresse au milieu de notre alphabet comme un arc de triomphe appuyé sur son triple jambage, a moins que le typographe n'en fasse un échancrement spirituel de l'horizon".
- Ponge, La Fabrique du pré : "pré" --> "participe passé et préfixe par excellence" (jeu sur l'étymologie).
2) Du signifiant à "la chaîne signifiante" :
- poème de Marbeuf monté à partir d'un système de métaplasmes et de paronomases qui portent trace d'un matérialisme baroque
- Saint- John Perse, Anabase : "flaireurs de signes, de semences, et confesseurs de souffles en ouest" (suites homologiques qui créent l'expansion du texte par des moyens phonico-sémantiques.
- Ponge : son mimologisme est fondé aussi sur la motivation phonique qui convoque "tout le concert des vocables, des résons" : des rapprochements homophoniques à partir du suffixe "ard" associent à "lézard" les adjectifs "fuyard, flemmard, musard, pendard, hagard".
3) Le mot comme unité significative de la poésie moderne.
-Mallarmé, Crise de vers : La poésie moderne "cède l'initiative aux mots (...) remplaçant la respiration perceptible de l'ancien souffle lyrique ou la direction personnelle enthousiaste de la phrase".
- Barthes, "Y a-t-il une écriture poétique?", Le Degré zéro de l'écriture : "Chaque mot poétique est ainsi un objet inattendu, une boîte de Pandore d'où s'envolent toutes les virtualités du langage : il est donc produit et consommé avec une virtuosité particulière, une sorte de gourmandise sacrée".
B. Comment expliquer le risque d'illisibilité ?
1) "Les glissements intensifs de la chaîne signifiante".
- Le Dadaïsme et les poètes lettristes --> jetaient sur le papier une suite de lettres et de phonèmes.
- l'OU.LI.PO. exploitait au contraire les contraintes (lipogrammes, algorithmes) y compris par recours aux machines.
- Desnos, Les gorges froides, Rose Sélavy --> réécriture de locutions lexicalisées ou par acrobaties onomastiques.
- F. Rigolot, Sémantique de la poésie : c'est surtout de l'exploitation de "la motivation analogique du signifiant par rapport et au détriment du signifié" qui caractérise la modernité poétique.
- F. Rigolot, Sémantique de la poésie : "contrairement à une croyance tenace, la motivation analogique apparaît comme l'ennemie déclarée de la conscience poétique".
- Du Bellay, La Défense et illustration de la langue française : il s'en prend aux combinaisons de rimes de la "Grande Rhétorique" et récuse le maniérisme alambiqué des Néo-Pétrarquistes rompus aux jeux du signifiant.
2) La rupture avec le référent, "avec l'être et avec la matière".
- Meschonnic, Pour la poétique : les mots, dans la poésie moderne, sont coupés du réel et
"communiquent avec les autres mots avant de communiquer avec le monde".
- Jakobson, Essais de linguistique générale : "le mot est ressenti comme mot et non comme simple substitut de l'objet ni comme explosion d'émotion".
- Ponge étudie le lézard "dans le monde des mots".
3) Textualité en concurrence avec ou à la place de référentialité.
- Ponge, Le Pratique de la littérature : "On ne peut pas entièrement, on ne peut rien faire passer d'un monde à l'autre, mais il faut, pour qu'un texte, quel qu'il soit, puisse avoir la prétention de rendre compte d'un objet du monde, il faut au moins qu'il atteigne, lui, à la réalité dans son propre monde, dans le monde des textes".
- Ponge, "La Chèvre", Pièces : elle "ne cavale ni ne dévale mais grimpe plutôt, par sa dernière syllabe, des roches abruptes, jusqu'à l'aire d'envol, au nid en suspension de la muette".
C. Réorientation dans le sens de la spécificité du langage poétique.
1) La vigilance de l'auteur.
- Jaccottet, "Textes retrouvés", Contre et avec les mots : "On a tôt fait d'être envahi d'intrus, et ce qu'on voulait dire disparaît à leur profit. Le combat est inégal, les mots étant aussi sûrs d'eux-mêmes que l'écrivant est hésitant."
- Ponge, Pour un Malherbe : goût pour les formules pures en raison de leur "caractère vraiment pierre-de-taille, vraiment bloc indestructible".
- Ponge, "La Chèvre", Pièces : "et tirant nous aussi un peu trop sur la corde, peut-être, pour saisir l'occasion verbale par les cheveux".
2) Cohérence par le dessin de "l'horizon interne du texte" :
- Meschonnic, Pour la poétique : "(la) lecture des signifiants a pour garde-fou aux possibles qu'elle construit le texte comme Système, non pas comme énoncé où se lirait n'importe quoi (...)".
- Genette, Mimologiques : l'horizon le plus étroit est constitué par le vers où les mots sont agencés en "unités plus vastes qui form(ent) comme des vocables synthétiques, globalement justes et nécessaires".
- Mallarmé se méfiait des ressources des mots (harmonie imitative, anagrammes...) parce que la création poétique transcende absolument le donné linguistique, pour créer "l'irréfragable nécessité d'un langage parfait, suprême".
3) Possibilité de discussion et de retournement de la critique de M. Collot.
=> Un autre mode de fonctionnement :
- Riffaterre, "La métaphore filée dans la poésie surréaliste", La Production du texte : " toutes les perspectives sont également fructueuses et l'essentiel sera de les multiplier".
- Convergence entre matérialisme et matière :
- Ponge, "Plat de poissons frits" : mot-valise "odaurades" --> réduction de l'objet à une matière amorphe et d'une réduction de l'objet à une matière amorphe et d'une réticence de sensations qui laissent place à la jubilation d'une riche synesthésie, "cet instant safrané...".
=> Le signifiant révélateur et "fabuleux" :
- Ronsard, Sonnets, II 6 : remotivation du nom d'Hélène par "Le Ré des Généreux, Hélène de Surgères".
- F. Rigolot, Poésie et onomastique : par la fantaisie orthographique et l'équivalence formelle -rets / rais-, Ronsard associe "deux thèmes fondamentaux de l'idéologie pétrarquiste : éblouissement, emprisonnement".
- Nerval, "El desdichado" : "Et la treille où le pampre à la rose s'allie" : le nom de Rosalie s'inscrit et surdétermine le sens, par référence à Artémis ("Sainte Napolitaine aux mains pleines de feux"). Ce signifiant révèle les couches profondes de l'être nervalien (alliant sous le signe du feu le pampre de Bacchus, la rose trémière et la figure de la Sainte). Mais, pour cette lecture, il a fallu inscrire le signifiant dans un triple horizon : le vers, l'oeuvre, la tradition littéraire.
- Valéry, Variété : va-et-vient avec le signifié : "pendule poétique".