Dissertation sur l’intertextualité
Sujet : Gérard GENETTE déclare à propos des œuvres dérivées d’œuvres antérieures par transformation ou imitation (qu’il appelle « palimpsestes » ou « hypertextes ») :
L’art de « faire du vieux avec du neuf » a l’avantage de produire des objets plus complexes et plus savoureux que les produits « faits exprès » : une fonction nouvelle se superpose et s’enchevêtre à une structure ancienne, et la dissonance entre ces deux éléments coprésents donne sa saveur à l’ensemble. […]
J’entends bien—il faudrait être sourd—l’objection que ne manque pas de soulever cette apologie, même partielle, de la littérature au second degré : cette littérature « livresque », qui prend appui sur d’autres livres, serait l’instrument ou le lieu, d’une perte de contact avec la « vraie » réalité, qui n’est pas dans les livres. La réponse est simple : […] l’un n’empêche pas l’autre, et Andromaque ou Docteur Faustus ne sont pas plus loin du réel qu’illusions perdues ou Madame Bovary.
(Palimpsestes, La littérature au second degré, Seuil, 1982)
Cette citation ne se contente pas de présenter l’intertextualité mais la présente comme la pratique plus intéressante. Sa supériorité tient à sa plus grande complexité. Genette évoque le bricolage et se réfère à Picasso. Une œuvre hypertextuelle est complexz parce qu’elle n’est pas un tout unifié, homogène. C’est un moyen fécond de revisiter le patrimoine culturel, de dépoussiérer les œuvres qui risquent de paraître désuettes et de favoriser l’émergence d’une nouvelle interprétation. Il ne s’agit pas d’une pratique qui commémore la littérature mais plutôt qui « relance constamment dans un nouveau circuit de sens ».
Avantages de ce type de textes : la saveur
-plaisir lié à l’identification de l’hypotexte, au voyage dans la bibliothèque
-plaisir d’arriver à démonter le texte, de mesurer l’actualisation, les nouvelles interprétations qui émergent.
Présupposé lié à l’intertextualité : l’écriture est conçue comme fragmentaire, c’est une activité de récupération et de recyclage. L’intertextualité instaure un véritable jeu avec les textes en privilégiant le discontinu : la modernité pense le plaisir en termes de subversion, de défamiliarisation, par oppsition à la conception classique de l’œuvre et de la beauté comme norme. Pour les Classiques, l’innovation consiste en une variation dans la continuité ; pour les Modernes au contraire, l’innovation est conçue comme une rupture.
Les œuvres citées par Genette sont des cas évidents d’hypertextualité dans la mesure où elles réactualisent un mythe. Madame Bovary et le Réalisme sont inclus car, malgré le projet mimétique du Réalisme, il est impossible d’éluder le tempérament de l’artiste, le style, qui est l’expression d’un réel déformé par la vision artiste. La critique montre que le Réalisme n’est qu’une affaire de convention et qu’il use d’intertextualité. Ainsi, G. Genette refuse de distinguer les œuvres prétendûment réalistes des œuvres intertextuelles car l’effet de réel obtenu peut être obtenu à partir d’autres textes auttant qu’à partir d’une vision du réel.
G. Genette reprend une polémique liée à cette thèse. La notion d’intertextualité émerge dans les années 60-70, dans un débat critique autour de quelques notions clés dont celle d’autonomie du texte, conception de la littérature comme système clos, combinatoire de signes qui ne saurait être expliqué par autre chose. Invalidation de tout hors-texte.
L’objection majeure porte sur les effets : ainsi définie, la littérature trouverait son origine dans un ensemble textuel, donc en elle-même. Cela vient remettre en cause l’idée séculaire de mimesis. Le problème se situe autour de l’autoréférentialité de la littérature, contre la littérature qui continuerait à tenir un discours sur le monde.
La réponse de Genette est ironique, laconique. Il ne théorise plus mais son but est de montrer que les œuvres inspirées d’autres œuvres ont autant de prise sur le réel que les œuvres phares du Réalisme.
Exemple de plan :
1) Présupposés théoriques de la citation- valorisation d’une œuvre composite
- valorisation de la dissonance, de la subversion
- valorisation de la bibliothèque par rapport au monde réel
2) L’écueil de la lecture- conception de la lecture comme démontage : plaisir intellectuel
- mérite des pratiques intertextuelles : conception dynamique du patrimoine littéraire, jeu avec le texte
- difficulté : lecture érudite semble la seule capable de donner du plaisir, pb du lectorat visé
3) Conception plus ouverte de l’intertextualité- une telle conception n’est pas la seule visée de l’hypertextualité : il peut y avoir variation dans la filiation.
- risques à enfermer la littérature en elle-même : épuisement, ressassement, gratuité, vanité. Cf Laforgue et l’angoisse du ressassement.
- Néanmoins, Genette évoque les œuvres qui cumulent pratique mimétique et pratique livresque. La littérature livresque peut très bien dire le monde extérieur : la poésie d’Aragon est livresque mais en lien avec la réalité extérieure. Mais aussi en lien avec la réalité intérieure : Proust s’ouvre à l’autre dans le pastiche pour se retrouver lui-même, Chateaubriand utilise les figures mythiques qui lui permettent de dire la singularité de sa vie.
Conclusion
Surtout au XX° siècle, crise du sujet, crise de la représentation : on a l’impression que le détour par les textes est la seule façon de retrouver la réalité. (Cf Claude Simon).
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